DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

mardi 18 mai 2010

P. 283. Mai 1987 : le procès Klaus Barbie

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Dessin de Plantu pour Le Monde des 6 et 7 février 1983 (DR).
Serge Klarsfeld : cette expulsion représente « un rayon de soleil de justice ». Encore quatre années de patience et enfin débutera la procès Barbie...

Première condamnation en France
pour crimes contre l'humanité :
Klaus Barbie


Du 11 mai au 4 juillet 1987 s’est tenu un procès en 37 audiences au tribunal de Lyon. Klaus Barbie – 73 ans - était poursuivi pour crimes contre l’humanité commis alors qu’il dirigeait la Gestapo de Lyon, soit entre novembre 1942 et août 1944. Parmi les ombres qui hantèrent les lieux : celles de Jean Moulin et des 44 enfants raflés à la colonie d’Izieu parce que juifs…
Barbie ne daignera assister qu’à trois jours de son procès…

Un « crime contre l’humanité » relève de « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout acte inhumain contre les populations civiles (...) ou bien les persécutions pour motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime entrant dans la compétence du tribunal ou en liaison avec ce crime. »

(Nuremberg, art. 6c).

Me Alain Jakubowicz (Parties civiles) :

- "L'émotion est palpable. Klaus Barbie fait son apparition. Je suis aussitôt saisi par son regard. Ses yeux d'un bleu d'acier. Je ne comprenais pas comment on pouvait reconnaître un homme après plus de 40 ans. A présent, je comprends. Celui qui a croisé ce regard ne peut l'oublier.

"Accusé, veuillez vous lever".
Barbie obtempère. Il demande à s'exprimer en allemand avec l'aide de deux interprètes. A la première question :
"Quels sont vos nom et prénom ?"
il répond "Altman Klaus".
Le décor est planté. C'est l'identité qu'il avait adoptée en Bolivie après avoir quitté l'Europe avec l'aide de la CIA. Et oui, n'oublions pas que l'on est passé sans désemparer de la seconde guerre mondiale à la guerre froide et que les anciens SS étaient passés maîtres dans le combat contre le bolchévisme. Leurs renseignements étaient précieux pour les services secrets américains. Après les avoir utilisés, ceux-ci les ont aidés à passer en Amérique du Sud où, à l'instar de Barbie, ils n'ont rien renié de leur idéologie, au service des juntes militaires les plus sanguinaires.
Pour autant, il n'y a aucun doute sur l'identité de notre homme. C'est bien l'oberstürm-führer SS Klaus Barbie qui a sévi à Lyon de 1942 à 1944, qui se trouve devant nous. »
(Lyon Capitale, 15 mai 2007).

K. Barbie à son procès et en uniforme SS (Mont. JEA / DR).

Témoignages devant le tribunal de Lyon, en mai 1987 :

Irène Clair :

- "Il {Barbie} s'est levé, furieux, nous traitant de terroristes, d'assassins, de bandits. Cela, sur le coup, m'a fait rire. Alors, il appelé un milicien en disant :
"Toi, ma petite blonde, on va te mater".
(...) J'ai été mise alors en présence de mon chef; il était dans un état épouvantable. A trente-quatre ans, on aurait dit un vieillard de quatre-vingts dix ans. Il m'a soufflé :
"Il vous faudra beaucoup de courage".
Il a pu me dire aussi ce qu'il avait subi : l'électricité, la matraque, les pendaisons par les bras; il ne tenait plus debout."
(Résistante AS, arrêtée le 9 mars 1994 à l'âge de 21 ans, rescapée de Ravensbrück).

Lise Lefèvre :

- "J'ai été arrêtée le 13 mai 1944 par une équipe de Barbie (...).
Je ne l'ai aperçu pour la première fois qu'à l'école de santé militaire, avenue Berthelot, où il avait son siège. Je travaillais pour la Résistance et j'avais sur moi, malheureusement, un pli destiné à un agent de liaison surnommé Didier. Il voulait que je dise qui était Didier (...).
Comme il n'obtenait rien, il m'a dit :
"On va chercher ton mari et ton fils et tu parleras".
Je les ai vus arriver l'un et l'autre un peu plus tard. Ce fut le moment le plus pénible, et cela a recommencé :
"Qui est Didier ? Où est Didier ?"
(...) Je me suis retrouvée dans une pièce, nue, attachée sur une chaise. Il est venu me montrer une sorte de fouet avec une boule hérissée de pointes, commandées par un ressort. Ils se sont mis à me frapper, je ne sais combien de temps, se relayant, en buvant de la bière ou du rhum. Quand j'ai repris connaissance, je me suis retrouvée dans un salon élégant où j'étais installée dans un fauteuil. Et Barbie, agenouillé à mes côtés, gentil comme tout, me félicitait pour mon courage, mais en ajoutant qu'il finissait toujours par faire parler et qu'il valait mieux que je le fasse tout de suite."
(Rescapée de Ravensbrück. Son époux et leur fils sont morts à Dachau).

Simone Kadosche :

- "C'était au quatrième étage, dans un bureau beige. Il est entré habillé de gris, il avait un chat dans ses bras. Je n'ai pas eu tellement peur, pensant qu'un homme qui caressait un chat ne pouvait être trop méchant. Il est allé d'abord vers mon père, l'a regardé sans un mot des pieds à la tête; il est venu ensuite vers maman et, finalement, vers moi. Il m'a caressé la joue, me disant que j'étais jolie. Il a demandé à ma mère :
"Vous avez d'autres enfants ?"
Comme elle répondait :
"Oui, ils sont à la campagne..."
il a voulu avoir les noms, les adresses. Il a posé le chat. Il est revenu vers moi et, brusquement, a défait la résille qui retenait mes cheveux pour empoigner ceux-ci brutalement, me tirant en arrière, et j'ai reçu alors une paire de claques magistrale, la première de ma vie.
Plus tard, ce fut autre chose : les coups de matraque, les coups de pied..."
(A 13 ans, dénoncée avec ses parents comme juifs. Arrêtés le jour du débarquement de Normandie).

Le sort des enfants d'Izieu fixé par un télégramme signé Barbie, SS-Oberstürm-führer (Doc. JEA / DR).

René Wucher, rescapé de la rafle d'Izieu :

- "Les camions sont arrivés; nous étions au premier étage. il y a eu un grand remue-ménage. On nous a fait monter dans ces camions. Celui où j'étais, est tombé en panne devant la pâtisserie du village. Des gens alors m'ont reconnu, ont crié qu'ils me connaissaient, que je n'étais pas juif. C'est comme ça qu'on ma fait finalement descendre, que je me suis retrouvé dans l'arrière-boutique. Quand j'en suis sorti, plus tard, il n'y avait plus personne."
(Retraité RATP).

Léa Feldblum, monitrice à la colonie d'Izieu :

- "Je les aimais beaucoup, les plus petits ont pleuré, les autres ont chanté {Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine}. Là-bas, on les a tous brûlés. Moi, je ne sais pas pourquoi ils m'ont poussée de l'autre côté. Il y avait là Mengele et le chef du camp lui-même. On m'a dit d'avancer et je me suis retrouvée en quarantaine."
(24 ans en 1944).

Sabina Zlatin veut sauver les enfants raflés :

- "Je me suis rendue à Vichy, revêtue de mon uniforme d'infirmière militaire de la Croix-Rouge. J'ai demandé à l'Hôtel du Parc à voir un fonctionnaire. Je lui ai raconté la tragédie qui venait de se passer à Izieu et je lui ai dit :
"Pouvez-vous faire quelque chose pour ces enfants ?"
Il est sorti alors de la pièce et quand il est revenu, ce fut pour me dire :
"Qu'avez-vous donc à vous occuper de ces sales youpins ?"
(...)
{A la Milice, chez Darnand} Je n'avais pas peur. De quoi aurais-je pu avoir peur au point où nous en étions ? Celui qui m'a reçue, m'a crié cette fois, à peine avais-je fini de lui expliquer de quoi il s'agissait :
"Sortez d'ici immédiatement ou je vous fais arrêter."
(Polonaise immigrée en France, naturalisée en 1937. Directrice de la colonie d'Izieu. A Montpellier au moment de la rafle).

Sabina Szlatin à Me Vergès, défenseur de Barbie :

- "Barbie a toujours dit pour sa défense qu'il s'occupait uniquement des résistants, des maquisards. Alors je voudrais demander les quarante-quatre enfants d'Izieu, c'était quoi ? Qu'est-ce qu'ils étaient donc ? Des terroristes ? Des résistants ? Non, c'était tous des innocents !
Quoi dire de plus ? Ceux qui ont des enfants comprendront ma douleur. Non, pour ce crime d'Izieu, il n'y a ni pardon ni oubli."

Le Monde des 5 et 6 juillet 1987 (DR).
Le verdict est rendu le 4 juillet 1987 : Barbie est reconnu coupable de 17 crimes contre l'humanité. La peine de mort ayant été abolie en France sous l'impulsion du Ministre... Badinter, la réclusion à perpétuité est prononcée.
Klaus Barbie rend son dernier soufle en prison le 25 septembre 1991.

Le bâtonnier Ugo Iannucci (Parties civiles) :

- "Barbie nia les faits, mais ne renia rien de l’idéologie nazie, fondée entre autres sur le mythe de la supériorité du peuple allemand. Il ne manifesta jamais d’émotion. Il était resté le S.S. "impavide et cruel" tel que le voulait Hitler…
{Son procès servit non} « à écrire l’Histoire, mais au premier chef, à donner la parole aux victimes. Ces dernières, après le procès, ont parcouru les écoles et les lycées pour préparer la jeunesse à dire non aux ordres criminels, à faire prévaloir la conscience sur l’obéissance, à respecter la dignité de chaque être humain."
(4 juillet 2007, Lyon, commémoration du 20e anniversaire du procès).


14 commentaires:

Mary Longwood a dit…

zéro commentaires ? comment ça, zéro commentaires ?? C'est humiliant, une telle indiff♪0rence. Commesi onlesmartyrisait deux fois.

Alors,je commente : je commente pour vous dire merci. Pour dire,pour crier que ceci doit cesser.
Parce que cela continue, ici là et ailleurs.

La malveillance,l'horreur.
Merci de l'avoir écrit et diffusé

Brigetoun a dit…

m'a fascinée - on touchait un peu mieux ce qu'on savait - une bonne série d'émissions sur France Culture il y a un certain nombre d'années

JEA a dit…

@ Mary Logwood

Merci d'avoir humanisé le désert...

Le plus souvent, les nouvelles pages de ce blog sortent à l'heure du laitier ("je vous parle d'une époque que les jeunes ne connaissent pas")...
Et c'est presque un rite laïque, Brigetoun est la première à distiller quelques mots dans les premières clartés de l'aurore. Comme un arc-en-ciel entre Avignon et les Ardennes.

Mais en ce moment, des charges historiques hors blog entraînent des décalages horaires pour celui-ci.
D'où ce "retard" pour le rappel du procès Barbie et qui malmène un rien le rythme habituel. Les habitué(e)s viendront peut-être ce soir ou demain ?

Après vos traces d'exploratrice, voici d'ailleurs celles de Brigetoun.

JEA a dit…

@ brigetoun

ne souhaitant pas de tv dans mon coin de verdure, je suis nul pour les étranges lucarnes mais en 2007, les 20 ans écoulés depuis le procès ont effectiovement donné lieu à des émissions spéciales...
en outre, sauf erreur involontaire de ma part, Barbie a été le premier procès à être filmé en longueur et donc à présenter outre les PV d'audience, des archives audio-visuelles avant que les témoins ne soient emportés par le temps

colo a dit…

C'est l'horreur qui rend muet, moi en tout cas. Merci à vous.

JEA a dit…

@ colo

A propos d'horreur, les survivantes sont unanimes pour exprimer autant que possible l'absolu pour elles : à savoir les bébés, les gosses réduits aux cendres de la "solution finale"...

MH a dit…

L'expulsion de Barbie en 83 et son procès 4 ans après !! Je m'en souviens comme si c'était hier ! Les médias en ont "parlé" (même en Flandre, toujours un peu en retrait quand il s'agit d'aborder les crimes de la guerre) et tout à coup j'ai pris pleinement conscience de ce que c'était que l'Holocauste. Et que le mal avait un visage.

JEA a dit…

@ MH

Il y eut ensuite les premiers et derniers Français à comparaître devant la justice de leur pays pour crimes ou complicité de crimes contre l'humanité : Touvier et Papon.
Les seuls témoins appelés devant les tribunaux furent alors des persécutés raciaux.
Le procès Barbie a donc été comme une transition entre les résistants seuls et les seules victimes de la Shoah...
Pour revenir à Barbie, son défenseur, Me Vergès tenta de décharger son client de responsabilités mises sur le compte de la résistance. Les époux Aubrac lui servirent particulièrement de cibles. L'avocat fut condamné pour cette infâmie. Mais Lucie Aubrac en garda une blessure intime.

MH a dit…

Oui, dans mon souvenir il y a Jean Moulin (cette photo avec l'ombre de son chapeau sur le visage a fait le tour du monde) mais surtout la rafle d'Izieu, persécution raciale d'enfants, mes enfants étaient petits à l'époque... Pardonnez la question un peu bête : je ne comprends pas quand vous dites que Vergès déchargeait son client en chargeant la Résistance ? Comment est-ce possible ?

JEA a dit…

@ MH

La défense, ou plus exactement la tactique de rupture choisie par Me Vergès, fut développée sur 2 axes :
- De quel droit la France jugerait-elle Barbie pour crimes contre l'humanité, elle qui n'a cessé par exemple d'en signer en Algérie et dans les autres pays par elle colonisés ?
- Barbie n'est pas seul responsable. D'autres le sont, des résistants et/ou des juifs qui ont trahi, qui ont à leur manière conduit les leurs à la mort. Et de promettre des révélations sur des "notables-coupables" au nombre desquels il citera les époux Aubrac. Vergès en restera aux sous-entendus, aux rumeurs. Lucie et son mari entamèrent aussitôt un procès en diffamation qui répéta que l'honneur était pour eux et non pour un avocat qui affirmait avoir devant lui "40 crétins" (ses confrères).
Personnellement, à ce procès, Vergès m'a définitivement dégoûté quand il a tenté de trouver des explications techniques supposées mettre en doute des viols par chien qui furent attestés à la barre des témoins.

MH a dit…

¨Heu, "pardonnez-moi pour la question" et merci pour l'explication... nouvelle question (ne demande pas de réponse) sur la personnalité de l'avocat et son métier.
Bonne journée!

JEA a dit…

@ Chère MH

Encore heureux que ce blog ne soit pas limité à des affirmations grâce par exemple à vos questions...
A propos de Vergès, avec ses zones d'ombre opaque et ses provocs, je suis d'une totale incompétence. Reste que pour ce procès, Vergès en profita pour régler des comptes avec la France colonialiste, ce qui était pour le moins hors sujet. Et pour distiller un goutte à goutte antisémite qui n'était pas pour lui déplaire. Et encore pour tenter de ternir l'image d'une résistance qui n'a pas besoin de mythes mais qu'on ne peut accuser sans preuve et uniquement pour détourner les débats des responsabilités de Barbie...
Par contre, il importe de se distinguer continuellement et sur l'essentiel de la barbarie. Et donc de répondre à Barbie par des grandeurs de la démocratie : suppression de la peine de mort, droits de la défense pour tous sans exception, justice aussi équitable que possible.

Danièle Duteil a dit…

Mon commentaire d'hier ne s'est pas enregistré.
Encore et toujours dénoncer l'obéissance à tout crin qui mène à des barbaries inouïes. Témoigner, toujours témoigner en montrant que si l'homme peut être le dernier des minables, il peut aussi être très grand. Garder malgré tout la foi en l'être humain.

JEA a dit…

@ Danièle Duteil

Blogspot connaît quelques défaillances en ce moment...
Internet ne manque pas également de facettes fascinantes et d'autres horripilantes.