DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

jeudi 8 avril 2010

P. 264. Avril 1942 : Rapport d'un collabo sur la Gestapo de Berlin

.
Louis Sadosky, Brigadier-chef des RG,
Présenté par Laurent Joly,
Berlin 1942, Chronique d'une détention par la Gestapo,
CNRS Editions, 2009, 248p.

Avril 1942,
un policier collabo
décrit de l'intérieur
la Gestapo à Berlin

4e de couverture :

- "Exhumé des archives de l'épuration, voici le " rapport " Sadosky, ou comment un policier des RG, collaborateur exemplaire, découvre le quotidien de la Gestapo à Berlin en 1942.Un témoignage de première main. La confession d'un " bourreau ordinaire " sur l'appareil de répression nazi et l'extermination des juifs d'Europe.
Le 2 avril 1942, dans le cadre d'une obscure affaire d'espionnage, Louis Sadosky est arrêté par les Allemands et transféré dans la capitale du Reich. Revenu en France deux mois plus tard, il rédige d'une traite le compte rendu de cette incroyable odyssée au coeur du nazisme.
Dès son arrivée à Berlin, il subit les terrifiants interrogatoires " psychologiques " mis au point par la Gestapo. Mais ses geôliers comprennent rapidement qu'ils ont affaire à un " bon collaborateur ". Sadosky se lie à un sous-officier SS qui lui fait visiter le quartier juif de Berlin et lui apprend qu'Adolf Hitler a décidé d'exterminer l'ensemble des juifs d'Europe... II finit son séjour en invité choyé par une Gestapo qui lui enseigne ses méthodes de travail. De retour à Paris, Sadosky jouera jusqu'à la Libération un rôle actif dans la traque des juifs.
Un témoignage fondamental, présenté et annoté par Laurent Joly, sur le quotidien et les procédés de terreur de la police nazie.

Chargé de recherche au CNRS (CRHQ-Caen), Laurent Joly a notamment publié Vichy dans la " Solution finale ". Histoire du commissariat général aux Questions juives (1941-1944), Grasset, 2006."


Avertissement :

- "Cet ouvrage présente le rapport inédit de Louis Sadosky, brigadier-chef aux RG, sur sa détention à Berlin au printemps 1942. Destiné à ses supérieurs à la préfecture de Police, ce compte rendu détaillé de ses cinq semaines passées dans la capitale du Reich a été retrouvé par nos soins dans le dossier judiciaire de Sadosky aux Archives nationales."
Laurent Joly.

Pascal Riché :

- "C'est un document très étonnant et dérangeant que publie CNRS Editions sous le titre « Berlin 1942, le voyage d'un collabo au coeur de la Gestapo », présenté par l'historien Laurent Joly.
Un court récit, très détaillé, à mi-chemin entre le journal intime et le PV de police, d'un séjour forcé à Berlin, dans les salles d'interrogatoire de la Gestapo.
L'auteur est un flic des RG, un peu trouillard, un peu fragile, un peu salaud, très ordinaire : le visage de cette « banalité du mal » que Hannah Arendt a si bien su décrire.
Louis Sadosky a été arrêté par des policiers SS au début du mois d'avril 1942, ainsi que son ancien chef, Christian Louit, et embarqué en train vers l'Allemagne. La Gestapo s'intéresse à un agent polonais qui a été leur informateur.
Là-bas, les deux hommes, qui ne cessent de se chamailler, passent par diverses épreuves psychologiques et interrogatoires, avant d'être raccompagnés en France un mois plus tard. Au passage, Sadosky est informé des techniques et méthodes de la Gestapo.
Christian Louit sera arrêté de nouveau quelques jours après, et passera le reste de la guerre dans les geôles allemandes. Sadosky s'occupera tranquillement du « rayon juif » des RG."
Rue89, 17 octobre 2009.


Premières lignes du "rapport Sadosky" :
-"...pensant qu'il devait être encore question de Juifs, je ne m'en souciais pas plus..."

Louis Sadosky, 10 avril 1942 :

- "{Préfecture de Police de Berlin} Le cantinier m'apporta un grand demi de bière et, dans une soucoupe, que l'on me tendit, étaient disposées trois cigarettes qu'on me pria a de prendre et de fumer(...).
Vers 12h45, nous fûmes (...) conduits dans les bureaux de la Gestapo (...).
Par le truchement de l'interprète, le capitaine {Klein} nous indiqua que la Gestapo n'était pas en réalité l'organisme tel qu'il était représenté par les Juifs et par les Anglo-Saxons.
Il nous expliqua qu'il était formellement interdit d'exercer aucun sévice sur un prisonnier, quel qu'il soit, sous peine, pour les auteurs, d'un internement temporaire d'au moins cinq ans. Que les fonctionnaires de la Gestapo avaient pour devoirs et obligations de conduire, mener ou traiter une affaire avec la plus stricte objectivité, et il ajouta : "Les gens qui entrent ici ont toujours quelque chose à se reprocher, aussi peu en sortent. Mais ceux qui n'ont vraiment rien à se reprocher, alors ceux-là en sortent, car la Gestapo ne recherche que la vérité simple, dans chaque chose et chaque affaire (...).
Nous vous demandons de nous dire toute la vérité, et de nous dire tout ce que vous savez. Nous ne vous demanderons rien en ce qui concerne vos camarades ou collègues de votre administration. Nous ne vous demanderons rien également en ce qui concerne des Français, mais nous vous demanderons tout en ce qui concerne des Allemands, des Autrichiens, des Tchèques, enfin tout ce qui concerne "les cochons" qui ont trahi ou vendu leur pays, tous ces Juifs, ces émigrés, ces politiciens qui s'étaient réfugiés dans votre pays et qui, en fin de compte, trahissaient même le pays qui leur donnait asile."
(PP. 81 à 84).

17 avril 1942 :

- "Vers midi (...), on m'emmena dans un grand restaurant situé Koënigstrasse, à l'enseigne "Pilsator" (...) un très grand restaurant moderne où l'on sert, m'a-t-on dit, journellement près de 30 000 repas.
Nous fûmes, ce jour-là, très favorisés. On nous servit une soupe, un plat de poisson (cabillaud), un légume, 50 gr de pain, et une sorte de gâteau de semoule avec un sirop ersatz, parfumé à la framboise.
Après ce déjeûner, nous revînmes assez réapidement au bureau où mon interrogatoire reprit.
Jusque vers 16 heures, celui-ci porta sur mon activité au sein de la colonie allemande anti-hitlérienne de Paris, et sur des relations que j'avais eues avec des membres de cette colonie. A la fin de cet interrogatoire on m'invita, comme à l'habitude, à fournir des rapports écrits."
(P. 113).

21 avril 1942 :

- "Vers 15 heures, (...) on nous laissa un moment seuls (...). {M. Louit, ancien chef de Sadosky} me traita de "bavard" et puis, ajouta-t-il, vous écrivez de trop, faites comme moi, me dit-il, répondez à côté et écrivez peu (...). "C'est bien fait ce qui vous arrive, quand on est comme vous un collaborateur, vous n'avez pas à vous en plaindre et vous saurez bien vous débrouiller".
Mais, lui répondis-je, je ne suis pas plus collaborateur qu'avant. J'ai des chefs, j'exécute ce qu'ils me commandent ou m'ordonnent, et voilà tout (...).
D'un côté je passe pour être pro-juif, et de l'autre je passe pour un anti-juif.
Non, mon cher, me dit M. Louit, "vous passez surtout pour "martyriser les juifs", et là-dessus, je suis renseigné."
(PP. 122 à 125).

1950 : détail d'une fiche d'interdiction de séjour au nom de SADOSKY Louis (DR).

25 avril 1942 :

- "Il reste encore à Berlin, nous ont confié les inspecteurs, 63 000 Juifs allemands, mais, ajoutèrent-ils, chaque jour des convois de Juifs sont formés à destination de l'est, et nous pensons, dirent-ils encore, qu'en 1943, il ne restera plus un seul Juif à Berlin. Mais où les conduit-on, demandais-je.
Dans le gouvernement général {en Pologne}, me répondit-on.
Alors, dis-je, le gouvernement allemand n'aurait-il pas l'intention de créer dans le gouvernement général un ghetto universel.
Oh, non, me répondit-on, ce n'est pas l'intention du chancellier Hitler, mais au contraire celle de la destruction complète et à jamais de la race. Dans le Gouvernement général, les Juifs ne vivent pas longtemps."
(PP 137-138).

Devenu début 1943 le chef du "Rayon juif" des Renseignements Généraux, Louis Sadosky sera arrêté le 19 août 1944.
S'il est condamné aux travaux forcés le 12 janvier 1946, Louis Sadosky aura ensuite sa peine réduite à dix années de réclusion. Sa libération conditionnelle interviendra dès septembre 1950. Le président de la République le grâcie en avril 1952. Il ne restait plus qu'à rétablir ce collabo dans ses droits, ce qui ne tarda pas.
Par contre, Christian Louit que Sadosky accable auprès de la Gestapo mais aussi dans son rapport, sera le dernier fonctionnaire déporté de la préfecture de Police à rentrer d'Allemagne. Il a perdu quarante kilos en trois ans de captivité.
Christian Louit prendra sa retraite en 1957 comme sous-directeur à la direction de la PJ.


15 commentaires:

Brigetoun a dit…

passionnant et totalement inconnu de moi - vous êtes vraiment une source

MH a dit…

... "à vos potences hommes de Vichy" terrible cette chanson, on sent la violence de la revanche et pourtant un criminel comme Sadosky est gracié en 52 ??

JEA a dit…

@ brigetoun

tant que je ne suis pas une source de malentendus...

JEA a dit…

@ MH

en nous replaçant dans le contexte :
- en 1943, début 1944 : date de la chanson, à Londres, seuls ont eu lieu les débarquements en Afrique du Nord puis en Italie (avec de forts ralentissements, voire des arrêts)
en France, nazis et collabos font toujours régner leur terreur et on ne sait jusques à quand
Dac, menacé lui même et ayant fui vers l'Angleterre, y répond en chansonnier, plus par la dérision que par soif de sang réel
- Sadosky était le "spécialiste" des juifs aux RG,
si vous relisez les minutes du procès Pétain, jamais il ne lui est reproché les persécutions raciales de Vichy
Bousquet, responsable notamment de la rafle du Vel d'Hiv n'a jamais connu les foudres de la justice française
alors vous pensez, Sadosky... mais son dossier judiciaire atteste effectivement d'indulgences si pas de complaisances révélatrices

D. Hasselmann a dit…

Les RG ont bien changé depuis, puisqu'ils ont été "fondus" dans la fameuse DCRI qui refait parler d'elle en ce moment (une réforme de MAM, pilotée de haut).

Mais les méthodes sont évidemment bien plus républicaines.

Aujourd'hui, le président de la République (auteur d'un ouvrage bizarre sur Georges Mandel) s'est déplacé sur le plateau des Glières.

On espère qu'il n'y a pas autant de neige que la fois précédente, lors de son pélérinage annuel, et qu'il n'aura pas ainsi abîmé ses mocassins de marque.

JEA a dit…

@ D. Hasselmann

A propos des Glières, la page 184 :
http://motsaiques.blogspot.com/2009/10/p-184-walter-retour-en-resistance-le.html

MH a dit…

Dans "La Rafle" film sur le Vel.
d'Hiv de Rose Bosch, on y montre bien combien Pétain était responsable des persécutions raciales (on y voit Bousquet aussi).
Je ne sais pas si historiquement le film est minutieusement exact mais c'est un film à grand public qui interpelle et qui fera sans doute le tour du monde.
Peut-être qu'aujourd'hui enfin, on ose les mots et les images pour mettre en cause (!) un fameux pan de l'histoire de France.

JEA a dit…

@ MH

Serge Klarsfeld est le "garant" officiel de ce film. Il est à la France ce que Steinberg représente pour la Shoah en Belgique. Sans comparer leurs méthodes ni leurs caractères. Sans cacher mon admiration réfléchie pour ce dernier (voir deux pages de ce blog).

Tolérance a dit…

Le film "La Rafle" a fait actuellement près de 3 000 000 d'entrées et va être projeté dans les écoles. Il fallait réaliser ce film. C'est heureux, car ce jour du 16 juillet 1942, reste encore malheureusement inconnu auprès des
jeunes et des moins jeunes. Pour ce qui est de la documentation, Rose Bosh a travaillé pendant 3 ans auprès de personnes compétentes, et là, ça m'étonnerait qu'elle se soit trompée ou ait voulu en rajouter sur le point de vue historique.
Je suggère aux lecteurs de Mot(s)aïques de lire le blog de Yad Vashem, édité par J.E.A pour avoir un aperçu de que fut cette période.
"PLUS JAMAIS ça" : on ne le répètera jamais assez.

MH a dit…

Merci pour l'information... j'ai été voir ce film avec mes enfants qui sont de jeunes adultes universitaires, ignorants totalement les faits du Vel d'Hiv !
Ils ont été très impressionnés.

JEA a dit…

@ Tolérance

Le blog du Comité Français pour Yad Vashem, ainsi que vous avez raison de le souligner, propose page après page des instantanés sur l'autre France : celle des citoyennes et des républicains qui ont réussi à bloquer des ménanismes de la Shoah et donc à sauver au risque de leur propre vie des persécutés raciaux.
Mais ce blog n'est qu'une des facettes du travail des bénévoles de Yad Vashem France...

JEA a dit…

@ MH

Alors que par ordonnance allemande, les juifs de Belgique étaient obligés de résider seulement dans quatre villes : Anvers, Bruxelles, Charleroi et Liège, aucune rafle comparable à celle du Vel d'Hiv n'a pris une telle ampleur dans le Royaume.
Mais à Anvers, la police communale a rempli un rôle actif, collabo, plus que néfaste et injustifiable dans la chasse aux juifs de la Métropole...
Quand voici peu, le bourgmestre d'Anvers a présenté ses excuses. On a alors entendu un leader des extrémistes flamands tenir des propos ouvertement antisémites (lire la chronique de Paul Hermant et l'écho sur une page de ce blog).

MH a dit…

Pardon JEA, comment trouver la page sur Steinberg et celle sur la réaction des extrémistes flamands ?

JEA a dit…

@ MH

C'est à moi à m'excuser d'avoir oublié cette référence :
la page 9
http://motsaiques.blogspot.com/2008/07/p-9-la-mmoire-slective-de-bart-de-wever.html
le plus simple est peut-être de taper "de wever" dans la fenêtre de recherches sur ce blog ?

JEA a dit…

@ MH

trop distrait, j'ai négligé la date de la page en question :
09/07/2008...