DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

mardi 10 mars 2009

P. 86. En 1941 : Des collabos interdisent à Trenet de "verser des ordures"...

10 décembre 1941 : Vichy s'enfonce dans l'ignoble (DR).

Après les délires antisémites du directeur Boissel,
le "Radioteur" du Réveil du Peuple
accuse Trenet de "meurtre"

... perpétré sur Verlaine !

Comme décrit sur la page précédente, en 1941, Jean Boissel s'est lancé dans la chasse au Trenet. Avec pour arme de guerre et comme munitions l'antisémitisme. Le Réveil du Peuple agita - heureusement en vain - l'épouvantail d'un Trenet, "petit-fils de rabin" et dissimulant sa véritable identité de Netter, ce nom supposé de toute évidence juif... La poudre était trop mouillée. Vichy et l'occupant avaient hélas assez d'authentiques juifs à envoyer vers pitchipoï (Auschwitz et autres camps de l'extermination). Trenet resta Trenet, un "aryen" venant de Narbonne.

Toujours en 1941, le journal fasciste et donc raciste choisit alors un autre angle d'attaque, d'accusations, de diffamations. Trenet venait de mettre en musique "la chanson de l'automne" de Verlaine. Ce fut comme un chiffon rouge pour des collabos gardiens du temple d'une kulture à protéger d"un "charlatan"...


L'arme du "crime" à charge de Charles Trenet.

Respirez un bol d'oxygène avant de vous plonger dans la prose de ce "Radiotage" évoquanr "un meurtre" :

- "Si vous le voulez bien, chers amis, cette semaine nous parlerons disques. Vous conviendrez que le disque est une forme de production artistique que l'on peut exceptionnellement rattacher à la radio. Sans doute n'aurions-nous jamais abordé ce sujet si un si grand écoeurement ne nous y avait poussé. Nous avions récemment entendu la dernière cire enregistrée par Charles Trenet : "Verlaine". Et ce nous est une raison nouvelle de déplorer le retour de ce monsieur. Car ce fou (chantant ou non) se prend de plus en plus pour un génie et maintenant il se permet de mettre en musique - et comment ! - un poème du grand Verlaine.
(...)
M. Trenet éprouve maintenant le besoin de traîner son talent visqueux dans les chefs-d'oeuvre de notre littérature ; qu'il ponde entièrement ses inepties, paroles et musique dans du papier de soie, c'est, à la rigueur, son droit ; mais qu'il se permette de déposer sa musique sur un poème magnifique, ça non ! S'il y a un Dieu, il doit permettre au pauvre Verlaine de sortir une heure de sa tombe pour aller botter les fesses de Charles Trenet. En attendant, j'espère que tous les verlainiens, et plus généralement tous ceux qui ont le respect des belles oeuvres, sauront faire comprendre à ce jeune exalté qu'on ne pille pas impunément les trésors de notre littérature."

"Car ce charlatan de la chanson s'est attaqué à un des plus beaux poèmes de Verlaine : Les sanglots longs des violons de l'automne, et sur ces vers d'une légèreté fragile, il s'est permis de mettre une musique au rythme lourd, qui, vers le milieu, devient froidement du jazz frénétique et hurlant, pour permettre ensuite à ce Trenet-habens de faire un jeu de mots, en détroussant encore Verlaine :
"Cette paisible rumeur-là vient de la ville",
dit-il après les appels syncopés de sa mauvaise musique de jazz. S'il persiste dans cette voie sur la scène, la rumeur pourrait bien venir de la salle, et ce ne serait que justice. Dans ses slogans publicitaires, Charles Trenet se dit fou ; nous n'aurons pas la cruauté de le contredire. Son cas relève de plus en plus de la médecine ou du coup de pied au c..., au choix. Il existe une loi qui interdit de verser des ordures le long des murs ; on devrait en voter rapidement une interdisant aux Trenet de se déposer dans les chefs-d'oeuvre français."

Paroles de la chanson interprétée par Trenet, chanson qualifié fort scatologiquement d'"ordure" par Le Réveil du Peuple :

Les sanglots longs
Des violons

De l'automne,
Bercent mon cœur
D'une langueur monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens et je pleure ;

Et je m'en vais

Au vent mauvais
Qui m'emporte
De ci, de là
Pareil à la feuille morte.

Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville…


Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
De ci, de là
Pareil à la feuille morte.

Par un de ces traits d'humour dont l'histoire n'est pas trop avare, si des centaines de messages codés vont partir de l'Angleterre vers la France occupée pour annoncer le débarquement de Normandie, les deux plus importants de ces messages, reprennent Verlaine tel que chanté par Trenet.


En effet, le 4 juin 1944 à 23 h., résistants comme écoutes allemandes sursautent pour des raisons contradictoires en entendant ces vers :

- "Les sanglots longs des violons de l'automne"

suivis le 5 juin à 20 h. par :

- "Bercent mon coeur d'une langueur monotone..."

Soit d'abord l'annonce du débarquement dans les 48 heures avec ordres d'entamer les sabotages.
Puis la confirmation de ce débarquement avec généralisation des sabotages pour bloquer ou du moins ralentir et perturber au maximum l'effort de guerre allemand.

Les puristes auront réagi en (re)lisant le message du 5 juin. Celui-ci est conforme à la version enregistrée sur disque par Trenet mais pas au poème orginal de Verlaine.

Explication :

- les sanglots "bercent" dans la chanson de Trenet alors qu'ils "blessent" sous la plume de Verlaine.
- De même, pour la seconde strophe, Trenet se dit "tout suffocant" alors que Verlaine s'était décrit "tout chancelant".
- Enfin, dernière (mini) liberté prise par Trenet. Il a retenu : "Qui m'emporte / De ci , de là" plutôt que les deux vers de Verlaine : "Qui m'emporte / De çà, de là".

L'essentiel reste le choix de Verlaine-Trenet pour annoncer le retour de la liberté.

Au lever du jour, le 6 juin, planeur américain écrasé pendant la nuit sur le sol normand (DR).

Pour clore cette page, quelques autres messages parmi ceux qui confirmèrent le débarquement de Normandie... la fin d'une nuit nazie interminable sur la France :

Il fait chaud à Suez.
La lune est pleine d’éléphants verts.
Le chat sort et chasse.
Le gendarme dort d‘un œil.
Les carottes sont cuites.
Les dés sont sur le tapis.
Les enfants s’ennuient le dimanche.
Messieurs, faites vos jeux.
Ouvrez l’œil et le bon.
Tout le monde sur le pont...

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