DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

dimanche 8 février 2009

P. 74. Pour saluer Maxime Steinberg

Historien de la persécution des Juifs en Belgique
Maxime Steinberg
vient d'être reconnu
"Mensch de l'Année 2008"
par le CCLJ.

Président d'honneur du Centre Communautaire Laïc Juif, David Susskind :
- "Une fois par an, le CCLJ et ses amis choisissent une personnalité exceptionnelle pour l’honorer du titre de « Mensch de l’Année ». Le Mensch de l’année, ce n’est pas seulement être un homme ou une femme de l’année, c’est tout cela à la fois : sensible, affectueux, combattant pour tout ce qui nous est cher."

Ce titre sera remis à Henri Kichka (1) ainsi qu'à Maxime Steinberg lors d'une cérémonie académique prévue le 8 mars à 17h30 au CCLJ (2).

Premier réflexe en apprenant cette reconnaissance : il serait tellement réducteur de ne voir en Maxime Steinberg "que" l'homme d'une seule année. Réflexe aussitôt suivi d'un soulagement, d'un plaisir exceptionnel. En ces temps de révisionnismes répétitifs, d'intolérances aigües, de manipulations anachroniques, de confusions entre travail et devoir, entre histoire et mémoire, entre crimes de guerre et génocides, en nos temps troubles et troublants, enfin un espace où l'humanisme retrouve ses lumières.
Maxime Steinberg a d'abord porté seul l'étude de la Shoah en Belgique. Un "travail de titan", loin des soutiens académiques. Le dépouillement et l'étude de milliers de dossiers individuels de juifs poursuivis par les Nazis. Les preuves sans cesse élargies, consolidées d'une politique visant à "la solution finale".
Historien à la déontologie la plus pure, caractère exigeant et scrupuleux, chercheur jamais satisfait, Maxime Steinberg a rédigé les ouvrages de référence sur le pourquoi, le comment et les conséquences de la Shoah telle qu'elle fut développée en Belgique par les occupants, leurs collaborateurs mais aussi avec la complicité d'autorités que l'antisémitisme forcené ne sembla guère troubler.

Pour saluer ce travail de presque toute une vie professionnelle, nous lui avons posé des questions que nous n'aurions jamais osé prononcer voici quelques années encore. Certes Maxime Steinberg est incroyablement ouvert à toutes celles et ceux qui entament des recherches sur la Shoah. Jamais il n'a joué au "mandarin" intouchable et distillant des sentences incontournables. Toujours il s'est montré attentif, patient, pédagogue, conseiller précieux. Mais dans le cadre d'un travail critique. Sans que jamais ne soit le moins du monde entamée l'indispensable distance entre son histoire personnelle et celle de la Shoah en Belgique.
Or, pour ce blog, Maxime Steinberg a accepté de quitter brièvement l'habit de l'historien respecté et de référence pour redevenir quelques instants le petit Maxime, enfant caché, rescapé de la Shoah. Nous allons tenter de retranscrire cette démarche dont nous portons la responsabilité.

1930.
A Lille, se marient Mendel Majer (Max) Sztejnberg et Ruchla Helman.
Lui a quitté très jeune sa famille et la Pologne natale pour une pérégrination qui, par les ports de la Baltique, l’a conduit jusqu’en Belgique en 1920. Ayant appris en chemin le métier de cordonnier, il a tout juste 20 ans et travaille dans des ateliers de chaussure à Bruxelles avant d’ouvrir son échoppe artisanale.
Elle avait vu le jour dans la même localité polonaise que Max : Kaluszyn. S’y étaient-ils déjà connus ? De la même génération, ils se découvrirent ou se retrouvèrent à Bruxelles. Ils décidèrent de partager le même amour.
Si ce mariage se déroule à Lille, c’est suite à l’expulsion de Ruchla ne possédant qu’un passeport valable le temps de l’Exposition universelle de 1930 à Anvers et à Liège. Le couple peut ensuite retrouver la capitale belge sans craindre de voir la Police des Etrangers les séparer.
Maxime Steinberg : « Leur mariage est typique des histoires d’immigrés de l’époque. Originaires du même village, de la même ville, ils se retrouvent à Bruxelles dans un même quartier situé près d’une gare et ouvert aux étrangers débarquant dans le Royaume… »

Le couple Sztejnberg va donner vie à deux garçons : Kolka, en 1933 et Maxime, en 1936.

La famille Sztejnberg à la Mer du Nord lors de l'été 1937. De G. à Dr. : Mendel Majer, Kolka fils aîné, Ruchla Helman avec dans ses bras le bébé Maxime (Arch. M. Steinberg. DR).

Enfants de Républicains espagnols – enfants de victimes de la Shoah.
La résistance des Républicains espagnols face aux phalanges provoque des ondes de choc jusqu’à Bruxelles. Max Sztejnberg récolte des fonds de soutien dans la communauté des cordonniers juifs pour leurs confrères espagnols. Dans la capitale, c’est un anarchiste, Markus Boldu, qui reçoit ces dons et veille à l’accueil et à l’hébergement de petits enfants de Républicains mis à l’abri des hordes franquistes.
Quand la Belgique est envahie par les Nazis et que ceux-ci mettent en place ce qui se révèlera être « la solution finale », Markus Boldu proposera aux Sztejnberg la contrepartie de leur solidarité avec les Espagnols du Front Populaire. Kolka et Maxime seront cachés par Fernand Pironon et Marie Leontine Le Goof qui ont déjà fait leurs preuves avec des gosses ayant franchi les Pyrénées et hébergent encore une petite Theresa.
Fernand et Marie habitent dans le Brabant wallon, à Annonsart-Ohain. Les deux frères Sztejnberg ne sont séparés – et à titre de précaution – que pendant les heures scolaires. Kolka est inscrit dans une école catholique tandis que Maxime fréquente l’école communale.
Ouvrier dans une usine d’armement, Fernand Pironon a été reconnu après guerre résistant armé de l’AS (Armée secrète).
Maxime Steinberg : « A l’époque, à la campagne, les lits reposaient sur un coffre. Le mien contenait des fusils… J’ajoute que Fernand a également eu droit au titre de résistant civil. Dans ce cas, il fallait obligatoirement avoir sauvé au moins deux juifs !!! Voilà qui dénote aussi les mentalités après la libération. Avoir arraché un seul juif aux persécutions ne suffisait pas… »


1942.
Leurs deux garçons réellement « mis au vert », Max et Ruchla, comme de nombreux juifs de Bruxelles, ont cherché à s’abriter à Boitsfort. Ils sont hélas arrêtés et mis à la Caserne Dossin de Malines le 17 septembre.
Tous deux sont emportés vers Auschwitz-Birkenau par le convoi XI du 26 septembre avec 1740 autres déportés dont 467 enfants de moins de 15 ans.
Maxime Steinberg : « A Boitsfort, se sont distingués d’efficaces activistes rexistes. Je sais par exemple, qu’une pension de famille s’y était sinistrement spécialisée. Quand elle avait un nombre suffisant de juifs, elle les dénonçait pour récupérer au passage leurs biens et bagages… Pour mes parents, ce n’est pas établi formellement, faute de documents probants, mais tout laisse supposer qu’eux aussi furent dénoncés.

Pour le convoi XI, il faut savoir 94% des femmes et fillettes de ce convoi disparaissent dès son arrivée le 28 septembre à Auschwitz-Birkenau. Ce qui revient à comprendre qu’elles ont été gazées aussitôt.»

Page 255 du Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, Serge Klarsfeld et Maxime Steinberg, Ed. Union des des déportés Juifs de Belgique - Fils et Filles de la Déportation - The Beate Klarslfeld Foundation, 1982, 642 p.
Ruchla Helman portait le n° 1072 du convoi XI.

1945.
Séparé de son épouse depuis que leur train les a débarqués en rase campagne entre Auschwitz et Birkenau, Max porte désormais le matricule 66.164. Il est détaché dans un kommando de travail, celui de la mine de charbon de Jawisowitz (3) qui compta de nombreux juifs provenant de Belgique (sans être Belges pour autant).
A l’approche des troupes soviétiques, début 1945, les SS entraînent les détenus dans les marches de la mort. Max va tenir tout au log de cette interminable épreuve qui va le conduire d’abord à Gross Rosen, puis à Buchenwald où il recevra le matricule 117.324.
Cherchant toujours à faire disparaître les traces des camps et de leurs victimes, les SS veulent ne laisser derrière eux qu’un long cortège de cadavres. De Buchenwald, Max est transféré dans les pires conditions à Theresienstadt. Les Américains l’en délivreront.
Maxime Steinberg : «Mon père est rentré le 11 juin 1945. C’était un squelette vivant gonflé d’eau. Atteint du typhus, il ne pesait plus que 46 kg. Il avait perdu son épouse et n’avait aucun endroit où loger en Belgique.
Pendant trois mois, il a été pris en charge à Annonsart-Ohain par ceux-là même qui nous avaient sauvés en nous cachant sous l’occupation.
Mon père a vécu cette souffrance extrême de savoir qu’il ne verrait plus jamais ma mère.
Quant à moi, je n’avais que 5 ans quand, en 1942, j’en ai été séparé pour toujours.
Je n’ai pas gardé, du moins consciemment, de souvenir de ma mère. Quand je regarde l’une de ses photos, j’essaie encore qu’elle me dise quelque chose. En vain. Je dois faire un blocage.
De mon père, qui reprend son commerce, je garde encore les images d’un homme qui va travailler sans cesse, du matin au soir, des clous en bouche, avec son pied de cordonnier. Il a décidé que ses deux fils feraient l’université. Sa volonté était de permettre notre ascension sociale par le biais des études. On imagine les sacrifices de cet homme, de ce veuf portant à bout de bras ses deux garçons.»
(4)

Cérémonie à la Caserne Dossin à Malines, le Sammellager de Belgique. Désigné par une flèche jaune, à droite de la plaque commémorant les déportations de juifs, Max Sztejnberg, rescapé d'Auschwitz et de Bunchenwald (Arch. M. Steinberg, DR).

NOTES :

(1) La Revue Regards publie, sous la plume de Roland Baumann, un portrait de ces deux élus du CCLJ. Pour une lecture, cliquer : ICI.

(2) CCLJ : 52 rue de l'Hôtel des Monnaies à 1060 Bruxelles. La cérémonie académique aura pour cadre l'Espace Yitzhak Rabin.

(3) Avec Danielle Delmaire, professeur émérite, auteur des travaux sur les camps pour juifs du nord de la France, Maxime Steinberg est membre d'honneur de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures. Tous deux ont continuellement soutenu et éclairé les recherches sur ce camp oublié pendant plus de 50 ans. Sur les 288 juifs anversois déportés le 18 juillet 1942 dans les Ardennes françaises, 35 seront affectés à la mine de Jawisowitz après leur transfert sur Auschwitz-Birkenau.

(4) Une autre page du blog présentera le Maxime Steinberg historien. Notamment expert lors du procès de Kiel en 1980-1981, docteur enseignant à l'Institut d'Etudes du Judaïsme mais surtout auteur d'une somme unique sur la Shoah en Belgique.

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