DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

samedi 17 janvier 2009

P. 69. Brèves (14). Françoise Fressoz, Marie-Eve Malouines, Michèle Audin, Georges Arnaud...


Tous les journalistes ne sont pas des Légionnaires.

1. AFP :

- Les journalistes politiques Françoise Fressoz (Le Monde) et Marie-Eve Malouines (France Info) ont annoncé qu'elles refusent la Légion d'honneur, après avoir découvert avec "étonnement" leur nom sur la promotion du Nouvel an de cet ordre.

"De retour de congés, j'ai découvert avec étonnement que je figurais sur la liste de la promotion du 1er janvier de la Légion d'honneur. Contrairement à l'usage, je n'ai été informée de rien avant la publication de cette liste", déclare dans un communiqué à l'AFP Françoise Fressoz, chef du service politique du Monde.

"Un journaliste politique doit rester à l'écart des honneurs... Rien, dans mon parcours professionnel, ne justifie pareille distinction. Je pense en outre que, pour exercer librement sa fonction, un journaliste politique doit rester à l'écart des honneurs. Pour ces raisons, je me vois dans l'obligation de refuser cette distinction", ajoute-t-elle.

Marie-Eve Malouines, chef du service politique de France Info, fait elle aussi, dans un communiqué à l'AFP, part de son "grand étonnement" de trouver son nom parmi les promues.

"Cette liste étant publique, je tiens à préciser que je n'ai jamais réclamé une telle distinction, ni même été sollicitée en vue d'une telle démarche", explique-t-elle. "Je ne vois vraiment rien, dans mon parcours, qui puisse justifier une telle distinction, c'est pourquoi je me vois dans l'obligation de refuser cette prestigieuse décoration", ajoute la journaliste.

Ces deux refus manifestent plus que des sursauts de dignité en une époque où le cirage des pompes présidentielles et l'attrait des pompes officielles transforment des gens de presse en citrons (em)pressés par les pouvoirs.

Le journalisme y retrouve l'une de ses raisons d'être : l'exercice critique et responsable d'une liberté fondamentale.

2. Venant de terminer la lecture de "Mon procès" par Georges Arnaud (omnibus, Paris, 2008), j'y ai retrouvé souvenir d'un incroyable procès en honneur du journalisme.


En 1957, Francis Jeanson, recherché par toutes les polices de France, donne à Paris une conférence de presse pour soutenir les Algériens alors en lutte pour leur indépendance. Cet intellectuel (un professeur) n'a pas de sang sur les mains. Il n'a jamais porté d'arme(s) et encore moins de bombe(s). Mais il a créé un "réseau de soutien au FLN". Francis Jeanson estime que la République perd ses idéaux dans une guerre qui n'ose dire son nom et où le politique a délégué ses pouvoirs notamment de justice à l'armée. Alors qu'au sein de celle-ci, certains torturent comme le firent les gestapistes.

La conférence presse se tient le 15 avril 1957.
Le 19, le quotidien Paris-Presse en publie un compte-rendu sous le titre : "Les étranges confidences du professeur Jeanson" et sous la signature de Georges Arnaud. Celui-ci indique dès les premières lignes : "Une quinzaine de journalistes sont présents. Je suis le seul Français."
Le 21, Georges Arnaud est arrêté par la DST.
Le 22, le journaliste est inculpé par un juge d'instruction militaire pour non-dénonciation du lieu et des témoins de ladire conférence.
Mis derrière les barreaux de la prison de Fresnes, Georges Arnaud voit son procès fixé au 17 juin à Reuilly (la justice militaire peut se confirmer expéditive).


Aperçus de ce procès en journalisme.

Le Président : "Les faits qui vous sont reprochés sont matériellement simples. Il vous est reproché, vous le savez, de n'avoir pas dénoncé l'activité de la conférence de presse dont vous avez donné le compte rendu. Voilà."

Chroniqueur judiciaire à L'Aurore, Jean Bernard-Derosne : "Vous savez sans doute, messieurs, que le secret professionnel des journalistes n'est pas reconnu par la loi comme celui des médecins, des avocats ou des prêtres. Nous avons, nous, quelque chose de plus fort que la loi, c'est une tradition et c'est une obligation morale qui est, je le répète, l'honneur de la profession."

Joseph Kessel : "Il est évident qu'il {G. Arnaud} n'allait pas dénoncer quelqu'un qu'il était allé voir professionnellement. Et en le voyant ici poursuivi, il me semble que nous sommes tours poursuivis."

Claude Estier : "Le secret des sources d'information est pour un journaliste une règle absolue. Un journaliste qui, ayant reçu une information de source confidentielle, trahirait cette source ou, dans le cas présent, révélerait le lieu où il a reccueilli cette information, se déshonorerait aux yeux de la profession. Je dis bien se déshonorerait, parce que c'est une question d'honneur, c'est une question de morale. C'est ce qu'on voulut exprimer les quelque trois cents journalistes de toutes tendances politiques qui ont signé une pétition de solidarité avec Arnaud."

Yvan Audouard : "J'exerce une profession dont j'estime qu'elle ne peut s'exercer que dans des conditions honorables : dans le respect de la vérité, et le respect de la parole donnée. A la place de Georges Arnaud, j'aurais agi comme lui."

Roger Priouret : "C'est peut-être une question de secret professionnel. Je sais que la jurisprudence est divisée à cet égard. C'est en tout cas une question d'honneur. Cela ma paraît évident, car il {le journaliste} deviendrait un auxiliaire de la policeet de la justice."

Jean-Paul Sartre : "Il me semble que la guerre d'Algérie exige que chaque citoyen français soit mis devant l'information la plus entière. Cette information lui est malheureusement refusée (...) En conséquence, je pense que lorsqu'un écrivain informe n'importe quel secteur de l'opinion sur la guerre d'Algérie, quand il informe l'opinion sur n'importe quelle sorte de faits, il accomplit son devoir. Et par conséquent, ce ne peut être que par malentendu qu'il se retrouve brusquement au banc des accusés."

Jérôme Lindon : "Georges Arnaud appartient à une catégorie de Français un peu démodée, dont je fais partie aussi partie, pour qui le patriotisme se mesure moins au nombre et à l'étendue des taches rouges sur la carte du monde ou aux eploits de nos sportifs ou de nos artistes, au même à la qualité de notre blé et de notre acier, qu'à des réussites d'un autre ordre ; par exemple, l'émancipation des noirs, les luttes menées au nom de la liberté..."


L'accusation n'a que deux témoins à faire appeler à la barre. Un policier. Et... le rédacteur en chef de Paris Presse, le quotidien ayant publié l'article de Georges Arnaud !

Pierre Charpy : "Georges Arnaud n'a commis aucun acte délictueux ; et j'ai fait mon métier (...) Chacun prenait ses risques. D'ailleurs j'ai dit à Arnaud, au moment même les risques qu'il courait (...) étant donné que tous les journalistes qui interviewent des gens dans la situation de Jeanson prennent des risques (...) C'est une conversion courante entre journalistes : si on passe ce papier-là, qu'est-ce qu'on va avoir comme ennuis !
Question de Me Vergès, l'un des défenseurs, à Pierre Charpy : "La défense a tout de même le droit de poser la question : étant donné que cet acte {la publication de l'article litigieux} a été commis à deux, pour quelle raison, à la connaissance du témoin, Georges Arnaud est-il dans le box, et M. Charpy témoin de l'accusation ? C'est la question que la défense pose à M. Charpy."
Une question de fond qui restera sans réponse aucune.

Georges Arnaud écopera de deux années avec sursis. Et de commenter ce jugement :
- "Ils m'ont condamné en vertu d'un texte appliqué une seule fois avant moi en cent cinquante ans, et pas dans une affaire de presse. Le grief de non-révélation n'avait jamais été retenu contre un journaliste. Jamais ce détour n'avait servi, au mépris de l'esprit et de la lettre de la loi, à amener un journaliste sur les bancs du conseil de guerre".

3. Comme on peut le supposer, ce procès servit de tribune pour évoquer sans censure préalable la guerre d'Algérie, les doutes du contingent envoyé "maintenir l'ordre" de l'autre côté de la Méditerranée, les tortures, les viols, les disparitions.
Témoin de la défense, Pierre Vidal-Naquet {historien dont je salue la mémoire} évoqua notamment la disparition à Alger, après son arrestation par des parachutistes, du mathématicien Maurice Audin, professeur de Faculté. Sa fille, Michèle, vient elle aussi de refuser la Légion d'Honneur.

Le Monde :

- "La fille du mathématicien Maurice Audin, disparu à Alger en 1957, a annoncé avoir refusé la Légion d'honneur dans un courrier au président de la République Nicolas Sarkozy. Michèle Audin, elle-même professeur de mathématiques à l'université de Strasbourg et récompensée au titre de ses recherches, estime cette distinction "incompatible" avec un courrier de sa mère restée sans réponse, qui demandait au chef de l'Etat de "contribuer à faire la vérité sur la disparition" de Maurice Audin."
(11 janvier 2009).

Dans une prochaine page, ce blog reviendra sur cette "affaire Audin", victime exécutée par des parachutistes ayant depuis lors bénéficié d'une pleine et entière impunité.




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