DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

jeudi 13 novembre 2008

P. 46. Depardon : "La vie moderne"

Profils paysans (3)

Synopsis :

- "Raymond Depardon a suivi pendant dix ans des paysans de moyenne montagne. Il nous fait entrer dans leurs fermes avec un naturel extraordinaire. Ce film bouleversant parle, avec une grande sérénité, de nos racines et du devenir des gens de la terre."


Jacques Mandelbaum :

- "A l'âge de 16 ans, durant les années 1960, Raymond Depardon quitte la ferme familiale pour parcourir le monde comme photoreporter. A la fin des années 1970, il troque régulièrement l'appareil photo pour une caméra, ramenant des films exceptionnels d'un asile italien, d'un hôpital ou tribunal français, d'un village africain.
Ce fils de paysans cultive si bien son jardin personnel, que celui de ses parents commence à lui manquer. C'est à la fin des années 1990 que lui vient une idée, un peu folle en termes de production, mais passionnante sur le plan du cinéma : filmer durant dix ans ces paysans de moyenne montagne dont tout porte à croire qu'ils vont disparaître sous l'effet des mutations économiques.
De ce projet naissent successivement Profils paysans : l'approche (2001), Profils paysans : le quotidien (2005), et aujourd'hui Profils paysans : la vie moderne, qui clôt, du moins provisoirement, ce qui se constitue à ce stade en trilogie.
En parallèle, Raymond Depardon publie La Terre des paysans (éd. Seuil, 150 pages, 39 €), qui regroupe des photos qu'il a prises pendant cinquante ans sur ce monde qui lui tient à coeur, de sa ferme familiale jusqu'à la transcription des trois films.

Ce troisième volet documentaire remet sur le métier ce qui était en jeu dans les précédents. Soit une question, une méthode, une manière. La question est celle de la survie de ces exploitations, avec le vieillissement des propriétaires et le problème douloureux de leur succession. La méthode est celle d'une approche fondée sur la confiance et le respect, la recherche d'une juste distance, qui ne prétend pas à la fausse proximité, et ne tombe pas dans l'écueil de l'observation surplombante. La manière relève d'une infinie délicatesse, d'une impression de naturel et de simplicité, dont on sait bien qu'elles tiennent par le cinéma de Depardon."
(Le Monde, 29 octobre 2008)


(Illustration : site de distribution du film, DR. Cliquer : ICI)

Jean-Baptiste Morain :

- "Qu’est-ce qui distingue ce nouveau film de Raymond Depardon – le troisième et dernier de la trilogie Profils paysans – de ses deux précédents, L’Approche (2000) et Le Quotidien (2004) ? Sur le papier, rien. Au fil des saisons, Depardon filme dans leur vie quotidienne, au travail, des agriculteurs, vieux ou jeunes, hommes et femmes, installés un peu partout en France. Il les interroge beaucoup, debout dans la campagne, assis sur leur tracteur ou dans leur intérieur, sur ce qu’ils deviennent, eux, leur santé, la ferme, la famille, le moral.

Cette fois-ci, le film est surtout centré sur la famille Privat, installée au Villaret, en Lozère. Intervieweur redoutable, Depardon les accouche sans forceps, révèle leur intelligence et leurs pensées sans les brusquer. Ils finissent par livrer ce que leurs visages disaient déjà quand ils écoutaient la question. Ils sont émouvants car ils nous ressemblent, parce qu’ils vibrent aux autres hommes, parce qu’ils sont en colère contre la terre entière quand une bête va mourir, même si elle était une coriace. Sur ce seul point, La Vie moderne est déjà un film admirable.

Alors, qu’est-ce qui bouge autant dans les plans, malgré leur cadre rigide, qui fait que ce troisième volet est tout simplement exceptionnel ? Une caméra, des micros, peut-être. Depardon et sa compagne et collaboratrice (au son et à la production) Claudine Nougaret ont utilisé de nouvelles techniques : une caméra 35 mm en cinémascope et pourtant ultralégère (fabriquée par la société Aaton, avec laquelle Godard, en quête d’une caméra qui tenait dans une boîte à gants, a beaucoup travaillé dans les années 80), un nombre de micros supérieur à la normale pour donner encore plus d’envergure à l’image.
Et le film est en effet somptueux sans aucun tape-à-l’œil, tranchant avec ce qui se fait aujourd’hui dans le cinéma documentaire où le numérique, donc aussi la misère matérielle, est souvent (pas toujours) devenue une norme."
(Les Inrocks, 29 oct)

(Raymond Depardon. Photo Sébastien Calvet. DR)

Raymond Depardon :

- "Nous avions une méthode très précise : nous essayions le plus possible d’être "adoptés", c’est-à-dire que nous ne forcions personne. Mais, à un moment donné, il faut que nous tournions. Si l’on reste huit jours à regarder et que tout d’un coup je sors la caméra, les gens sont un peu gênés. Et nous aussi. On peut croire que plus nous resterons avec les gens, sans les filmer, mieux nous les connaîtrons et plus le tournage sera facile. Ce n’est pas vrai. Il ne faut pas jouer la fausse relation avec eux. Nous les respectons trop. Et pour les respecter, il faut un peu de silence et un peu de distance. Parce qu’ils vivent dans une grande solitude et qu’il ne faut pas les déranger. Mais, paradoxalement, ils sont à la fois très méfiants et très ouverts. Comment les filmer sans les déranger ? Je crois que c’est grâce à l’énergie que nous dégageons tous les deux. Au bout d’un moment, ce sont eux qui nous demandaient de revenir.

En filmant ces paysans sur dix ans, on pourrait imaginer au bout d’un moment qu’ils seront moins spontanés, plus cabotins devant la caméra. Or, pas du tout ! Ces gens-là restent comme ils sont, ils peuvent être tour à tour silencieux ou bavards, tristes ou joyeux, peu importe, mais ils n’ont jamais été pris au dépourvu et ils ne cherchaient pas à plaire et ça c’est formidable. Ils ont surtout dit ce qu’ils avaient à dire, donc il y a un rapport entre celui qui filme et celui qui est filmé que j’ai rarement obtenu dans mes autres documentaires."
(France Inter, 29 oct)


Frédéric Pagès :

- "Tu parles d'une modernité ! Dans cette moyenne montagne des Cévennes, l'agriculture crève doucement mais sûrement. Raymond Depardon y revient, pour ce dernier volet de "profils paysans", avec le même art de filmer ces gens qu'il aime. Beaucoup de silences. Mais le message est clair et sonne comme un chant funèbre. Les vieux ont du mal à passer la main, certains refusent de donner la terre aux jeunes qui voudraient s'installer. Qui n'est pas né au village ne sera jamais intégré... Un jeune couple doit renoncer à son élevage de chèvers. Le vent souffle sur les hautes herbes. Epuisé, le vieux berger se couche et se tait.
Un film dense, une superbe leçon de cinéma et d'humanité."
(Le Canard enchaîné, 5 novembre 2008).


Bande annonce.

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