DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

samedi 11 octobre 2008

P. 36. L'air du temps qui (se sur)passe : quelques 10 et 11 octobre...

(Photo JEA. 10 octobre 2008 au RV)

Ouverts au hasard, quelques journaux. Puis le doigt cherchant les pages écrites des 10 et 11 octobre :

9-13 octobre 1914, Maurice Genevoix :

- Les bois frissonnent, sous la brume du petit jour. Les branches des deux hêtres laissent tomber de grosses gouttes qui s'écrasent sur notre peau ou qui roulent scintillantes sur le drap de nos capotes. Mais du ciel blanc rayonne une clarté douce, qui bondit peu à peu et filtre à travers les feuillages.
Une joie afflue en moi, d'avoir pressenti la splendeur de la journée qui commence. Je me lève et m'étire longuement, en me dressant sur le bout des souliers.
La détonation d'un mauser, le choc mat de la balle qui s'enfonce dans un tronc d'arbre me rappellent que le parapet est bas et que les Boches, dans cette forêt, postent des tireurs dans les branches...
"C'est malheureux d'avoir affaire à des vaches pareilles !
- I's roupillent donc jamais, les Boches ?"
Un cri soudain... Pas un de nous qui ne l'ait entendu, dans le même temps qu'un coup de feu...
Le blessé se dirige vers nous, la tête penchée sur son épaule dans une attitude de souffrance. Une minute a suffi pour lui ravager le visage.
(Nuits de guerre. Recueil Ceux de 14. omnibus. 1998.)

10 octobre 1915, Louis Barthas :

- A dix heures et demie, à peine avions-nous mangé la soupe que l'ordre fut donné de partir immédiatement pour les tranchées... Quand nous eûmes dépassé Neuville-Saint-Vaast, les Allemands déclenchèrent sur nous un violent tir de barrage; nous nous repliâmes en fuite éperdue vers Neuville...
Le commandant "Quinze-Grammes" et "le Konprinz", au moment où s'abattit la rafale, passaient devant un abri profond où ils se terrèrent.
Quand le calme fut revenu, ils dépêchèrent leurs larbins (disons leurs plantons) pour venir nous ramasser; ce ne fut pas sans peine car nous étions fort dispersés.
L'attaque eut lieu mais deux sections du 281e régiment qui étaient sorties des tranchées avaient été aussitôt foudroyées par les mitrailleuses.
Malgré les ordres réitérés personne n'avait plus voulu sortir.
(Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918. La Découverte. 2008. Pour lire la page de ce blog, cliquer : ICI)

10 octobre 1918, Albert Londres :

- Ce sont des barbares. Ne cherchons pas d'autre motif à leurs saletés, il n'y en a pas. Ils ont incendié Cambrai pour rien, uniquement par tradition. Pressés par leur fuite, ils n'ont pu terminer l'ouvrage. Ils ont dû regarder leur montre, compter qu'il ne leur restait que tant de temps et, comme ils ne pouvaient pas tout de même manquer à ce point au rythme de leur guerre, comme ils ne pouvaient pas ne pas détruire Cambrai, ils se sont résignés, ils ont choisi un coin, ils ont flambé le centre. La grande place brûle.
(Câbles et reportages. arléa. 2007).

11 octobre 1919, Eric Satie :

- Pour combattre une idée "avancée" en politique ou en art, tous les moyens sont bons - surtout les moyens bas. Les artistes "neufs" - qui "changent quelque chose" - connaissent les attaques que de tous temps leurs ennemis dirigent contre la nouveauté des tendances - des visions - qu'ils ne comprennent pas.
Il est en art comme en politique : Jaurès a été attaqué comme l'ont été Manet, Berlioz, Wagner, Picasso, Verlaine et tant d'autres. Cela "recommence" toujours et ce sont toujours les mêmes qui combattent le progrès sous toutes ses formes, dans toutes ses manifestations : les soutiens des "habitudes prises", les "je reste en place" - de bonnes gens.
(Un siècle d'Humanité. 1904-2004. le cherche midi. 2004).


(Jean-Yves Thibaudet : Trois Gnosiennes d'Eric Satie).

10 octobre 1939, Jean Malaquais :

- Thème d'exercices verbaux (lorsqu'il ne s'agit pas de fornication, de chasse ni de pinard) : à quand la quille ? Mosset, un gars du Poitou, l'appendice nasal mou comme une chique, soutient que la "définition de la guerre sera pas longue". Au fait, chacun croit, ou feint de croire, que l'affaire sera de courte durée. - Par exemple ? Ben, à Noël on est rentré chez soi; sinon, à Pâques; sinon à la Pentecôte. Comme quoi les choses importantes (et la guerre en est une, je présume), emboîtent le pas aux fêtes du calendrier grégorien.
On me demande mon avis. Je dis quinze ans. Exactement ce qu'il faut pour me faire traiter de dégueulasse... le caporal-chef Merlet se dresse tout sombre et annonce que je suis un "sapeur de la morale de l'armée."
(Journal de guerre. 1939-1940. Phébus. 1997).

11 octobre 1940, Jean Malaquais :

- Votre maréchal vient de se fendre d'un discours engageant à l'adresse du caporal que vous savez. On espère un accusé de réception.
(Journal du métèque. 1940-1942. Phébus. 1997).

10 octobre 1942, Victor Klemperer :

- Nouvel ordre à tous les Juifs qui sont tenus de porter le signe distinctif : remise de métaux, beaucoup plus stricte que lors de la dernière guerre - tombac, nickel, étain, plomb, et toute espèce de lampes. Pour nous, la question est de savoir si l'épouse aryenne est concernée. La Communauté doit décider. -
(Je veux témoigner jusqu'au bout. Journal 1942-1945. Seuil. 2000).

11 octobre 1942, Léon Werth :

- Etapes de la propagande. Il y a deux ans, c'était la personne humaine, l'ordre, la hiérarchie, la vertu de Jeanne d'Arc. Puis ce fut la politique de Montoire et la collaboration, une collaboration idyllique et nuageuse encore, la réconciliation. Vichy présentait un Hitler évangélique. L'Allemagne devint notre ex-ennemie. L'Angleterre, notre ex-alliée, devint notre ennemie. Puis ce fut la lutte contre le bolchevisme. Puis le "je souhaite la victoire de l'Allemagne". Puis l'attendrissante relève.
(Déposition. Journal 1940-1944. Viviane Hamy. 1992).

10 octobre 1946, Antonin Artaud :

- la société, la famille, l'armée, la police, l'administration, la science, la religion, l'amour, la haine, l'arithmétique, la géométrie, la trigonométrie, le calcul différentiel, la théorie des quanta, la faillite de la science, la musique, la philosophie, la métaphysique, la psychanalyse, la métapsychique, le logos, Platon, par-dessus Platon la yoga, dieu, le non-être, le pur esprit, le cosmos, le néant, l'univers, l'être, le carcan imbécile des initiations, le contingentement, le système Taylor, le rationnement, le marché noir, la guerre, les épidémies...
l'assassinat prénatal de la poésie.
(Oeuvres.Quarto Gallimard. 2004).

11 octobre 1955, Alexandre Vialatte :

- Où allons-nous ? Les clients du Café du commerce se le demandaient comme ma grand-mère dans ma jeunesse, avec une éloquence aidée par les alcools. Les humoristes en riaient bien. Et pourtant nous y sommes allés ; et même plus loin qu'ils ne le disaient sans le croire eux-mêmes ; nous n'y allons plus ; nous en revenons.
(Chroniques de la Montagne. 1952-1961. Bouquins. Robert Laffont. 2001).


(Photo JEA. Pollen d'automne ardennais au 10 octobre 2008).


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