DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

jeudi 18 septembre 2008

P. 28. La 234

Rivière prisonnière de son lit, futur cav-eau ? (Photo JEA).

Au retour de la chambre 234

D'abord des sons. Le cirque des chariots dans le couloir. Un chassé-croisé plutôt inharmonieux.
Eclats de voix aussi. Vite identifiées. Celles qui piquent. Leurs collègues passe-partout. Plus souveraine, la voix de la maîtresse (provisoire) de ce cargo sanitaire. Les mains bleues qui astiquent et ripolinisent. Les gants caoutchouteux qui prennent leurs distances avec les douleurs incisives.

Autres éclats plantés dans les poignets du silence : les diverses télévisions qui s'entrechoquent d'une chambre à l'autre. Des "chaînes" qui justifient méchamment leur réputation.

Si une seule image devait survivre à cette brève croisière : ce serait un dialogue singulier. Entre une infirmière aux cheveux roux réveillant tous les blancs ambiants. Et cette femme si mince que seul du papier à cigarette, une unique feuille de papier à cigarette peut la décrire. Son buste n'est pas encore absorbé par les draps. Les cheveux gris rassemblés en queue de cheval. Les taches sombres des narines et de la bouche. Celle-ci jamais refermée au contraire des paupières.

Debout, l'infirmière se penche. A la petite cuillère, elle alimente si lentement ce visage presque taillé dans une pierre blanche et friable de champagne. L'air est surchargé d'odeurs liées aux désinfectants. Dans le couloir, les chariots continuent à se bousculer. Des parents passent avec un subtil mélange de voyeureuisme, de sympathie et d'égoïsme.

Dans la chambre face à la 234, l'infirmière penche la cuillère. La bouche attend-elle ? Elle ne frémit pas. Une femme d'une quarantaine d'années s'incline devant une autre ayant peut-être atteint le double. Il se déroule alors comme un rite de reconnaissance et de passage entre ces deux femmes. Loin des bousculades, près du bout d'un chemin. Sans discours ni même larmes. Sans témoins. Une fin.

Musique 3 programmait alors les Lamentations de Jeremie dans la version de Francesco Durante. Absentes semble-t-il des sites vidéos.

A défaut. Marbrianus de Orto : Lamentations du prophète Jeremie, Huelgas Ensemble sous la direction de Paul van Nevel.

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