DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

mardi 22 juillet 2008

P. 13. Simon Helfer sur les pas de son père aux Mazures


Plaque portée par la Pierre du souvenir dressée en juin 2005 par l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures face à l'ancien site du camp (Ardennes de France). Photo : JEA.

20 juillet 2008. Aux Mazures : Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux Justes de France

Ce fut le seul Judenlager (camp de travail forcé et au bénéfice de l'Organisation Todt) qui fonctionna en Champagne-Ardennes durant la Seconde guerre mondiale. Le seul pour des juifs, tous emmenés de force d'Anvers (Belgique) le 18 juillet 1942. Mais l'histoire de ce Judenlager et de ses déportés n'a été reconstituée en profondeur qu'à partir de 2002. Soutenus par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, les travaux aboutirent à l'élaboration d'une liste de 288 déportés identifiés avec certitude et pour lesquels les destins individuels purent être retracés (1).

Cette histoire si longtemps méconnue s'inscrit donc dans le contexte de la persécution des juifs du Royaume (2) mais aussi de la Shoah en France. Avant Auschwitz. Et pour ceux qui tinrent bon jusqu'à janvier 1945, avec les prolongements des marches de la mort et la mise derrière les barbelés d'autres camps d'extermination ou de concentration.

Ce 20 juillet, la Municipalité de la Ville des Mazures associait pour la première fois le souvenir du Judenlager et des trois Justes reconnus pour leur aide aux juifs Anversois... à la Journée nationale décrétée en 1993.

De g. à dr. : Yaël Reicher, Présidente de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures, Gérard Drumel, Conseiller général, Elizabeth Bonillo, Maire des Mazures. (Ph. Françoise Parizel).

Si ce jour marquait officiellement le resserrement des liens entre la population des Mazures et une Association porteuse d'un passé si particulier et si douloureux marqué par la Shoah, c'était encore à un autre titre, un jour d'exception comme l'a souligné dans son discours Yaël Reicher (3) :

- "Simon Helfer, qui vient aujourd’hui pour la toute première fois aux Mazures, sur le lieu même où son papa a vécu les derniers moments de sa vie, il y a 66 ans, vit une journée importante. Son papa n’est plus jamais revenu des camps. Le papa de Simon a été exterminé par les nazis à Auschwitz quand Simon avait tout juste 1 an. Je répète, quand Simon avait tout juste 1 an. Et il a été exterminé parce qu’il était juif. Simon a dû grandir et vivre sa vie sans père parce que les nazis estimaient qu’il fallait exterminer des êtres humains..."


Josef Helfer naquit le 6 juin 1904 à Debnicki (Pologne). A 34 ans, il tourna le dos à un pays dont la réputation d'antisémitisme n'était pas usurpée... pour une Belgique espérée plus tolérante et avec le port d'Anvers ouvert vers les Amériques.(Photo : arch. fam.)

Horloger de formation mais serveur à Anvers, Josef Helfer fut parmi les premiers juifs à être victimes de l'occupation allemande. Il fut notamment mis en séjour et en travail forcés à Berverst avant le convoi du 18 juillet 1942. Ce matin-là, alors qu'un soleil indifférent allait écraser la journée, 288 juifs d'Anvers furent envoyés à Revin, dans les Ardennes de France. Pour construire aux Mazures, leur propre camp et abattre la forêt descendant vers la Meuse afin de fabriquer du charbon de bois réclamé par l'Organisation Todt pour l'effort de guerre nazi (gazogènes).

Mais la nuit du 23 au 24 octobre 1942, un appel rassembla au milieu du Judenlager les 288 Anversois. Les rafles menées en Belgique pour remplir les convois au départ de la Caserne Dossin de Malines et vers Auschwitz, ces convois manquaient de victimes. Les quotas n'étaient plus respectés. En conséquence, les SS chargés de la "solution finale" avaient réclamé au Haut commandement militaire de Bruxelles des juifs de Belgique mis au travail forcé en France - dont ceux des Mazures. Ceux-là ne pouvaient échapper à leur sort. Voilà pourquoi le 24 octobre, un convoi repartit de la gare de Revin vers Malines avec son contingent de juifs des Mazures. Les critères allemands pour le tri : ne garder au Judenlager que les déportés de nationalité belge, ou mariés à une Belge, ou mariés à une "aryenne" ou encore estimés indispensables par l'Organisation Todt (ainsi les menuisiers, un médecin, un dentiste etc).

Emporté vers Malines, Josef Helfer y vit son train complété par des familles juives rassemblées à la Caserne Dossin. Le numéro 94 lui fut imposé pour ce convoi XIV-XV qui emmena le jour même 1472 juifs à Auschwitz. Un document figurant dans son dossier individuel au Service des victimes de la guerre (4) porte la date du 2 décembre 1942 comme étant celle du décès de Josef Helfer à Auschwitz.

Né le 7 mars 1943, Simon Helfer n'a donc jamais connu son père. Cet orphelin, séparé de sa mère et de sa soeur, a été efficacement caché à Liège, échappant aux recherches des Allemands.

Quant aux compagnons de Josef Helfer, provisoirement "épargnés" car maintenus aux Mazures, ils furent transférés à Drancy le 5 janvier 1944. Puis mis dans le convoi 66 pour Auschwitz. Mais comme le rappela dans son discours Yaël Reicher, certains purent et osèrent s'évader :

(Yaël Reicher, Photo : Manu Tzwern)

- "22 juifs des 288 internés aux Mazures ont réussi leur évasion et ont vu la Libération. Mon papa est décédé il y a presque 9 ans maintenant. Il était l'un de ces 22 survivants des Mazures. Il a été sauvé par le grand héros et résistant Emile Fontaine, qui a mis en péril sa propre vie et celle de sa famille pour sauver des gens comme mon père.Comment est-il possible de remercier un personnage comme Emile Fontaine (5) de m’avoir donné un père aussi magnifique que le mien ? Je ne pourrais même pas. Le courage et l’intégrité d’Emile Fontaine évoquent pour moi, en tant qu’enfant d’un survivant des Mazures, des sentiments intenses d’humble admiration."


Photo : Françoise Parizel. Une gerbe ayant été déposée par Madame la Maire des Mazures, des membres de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures et d'autres de la Communauté juive des Ardennes, apportent leur galet sur la Pierre du souvenir. Ici Danielle Helfer, suivie de François Lorent, archiviste de la Ville de Revin. De dos, Marie-France Barbe, historienne, vice-présidente de la Société d'Etudes ardennaises puis, Jacques Namer, Président de la Communauté juive des Ardennes.

Photo Manu Tzwern. Alors que personnalités et public regagnent la salle des fêtes des Mazures pour visiter une exposition (6) que la Municipalité a décidé d'abriter définitivement et qui retrace l'histoire du Judenlager, Danielle et Simon Helfer remontent le temps. Pour tenter de deviner l'enceinte de barbelés haute de deux mètres qui enfermait les déportés. Parler des rigueurs du climat ardennais (ils sont arrivés avec les vêtements d'un été torride). De la faim (les preuves, hélas, ne manquent pas). De la dureté d'un travail forcé auquel aucun d'entre eux n'avait été professionnellement préparé. Des gardes SS et de l'OT. De la solidarité des internés.

Photo Françoise Parizel. Participant à l'inauguration de la Pierre en juillet 2005 où elle fut invitée comme membre d'Honneur de l'Association, Danielle Delmaire (7) ne manqua pas de mettre en évidence ce privilège d'historiens contemporéanistes : ne pas se trouver limités aux archives, documents et autres sources "mortes". Mais recueillir aussi les souvenirs des acteurs et des témoins encore en vie. Echanger et partager avec eux.

Sur ce cliché, marquer à Simon Helfer à la fois toute son affection respectueuse et sa passion de sortir définitivement "de la nuit et du brouillard" une histoire qui faillit disparaître dès l'après-guerre.

Photo Manu Tzwern. Les "anciens", celles et ceux des générations de la Dernière guerre mais aussi de la Shoah, espèrent transmettre ce passé mais sont régulièrement assaillis par des doutes. Cette image spontanée pourrait les réconforter. Celle d'un Mazurois qui, après les discours, explique tendrement à ses enfants ce qui est si dur à évoquer : un judéocide aux millions de victimes. Et dont le Judenlager des Mazures fut aussi un rouage.

Puis chacun s'en retourne vers la vie. Les deux derniers partants : Yaël Reicher, fille d'évadé et Simon Helfer, qui est né déjà orphelin de son père mort à Auschwitz (photo : Manu Tzwern). Même les oiseaux et les arbres restèrent un instant silencieux.

Notes :

(1) Jean-Emile Andreux, Mémorial des déportés du Judenlager des Mazures, TSAFON, Revue d'études juives du Nord, Villeneuve d'Ascq, n°3 hors-série, 2007, 155 p.

(2) Maxime Steinberg, La persécution des Juifs en Belgique (1940-1945), Bruxelles, Ed. Complexes, 2004, 317 p.

(3) Pour lire in extenso ce discours, cliquer : ici (P. 58 du blog de Yad Vashem France).

(4) Service Archives et Documents du Service des Victimes de la Guerre. Service Public Fédéral Sécurité Sociale. Bruxelles. Pour prendre connaissance de son nouveau site internet, cliquer : ici.

(5) Reconnu en 2007 comme Juste parmi les Nations pour avoir sauvé des évadés des Mazures. Ont été également honorées par l'Institut Yad Vashem, sa compagne Annette Pierron et la mère de celle-ci, Camille Pierron.

(6) Exposition conçue par la Bibliothèque centrale de Charleville-Mézières à l'initiative et sous la responsabilité de Florence Subissati. Documents et conception : Jean-Emile Andreux. Réalisation avec l'aide de Marie-France Barbe.

Photo : François Lorent. Rencontre devant des panneaux de cette exposition. Alberte Pernelet-Arould et Yaël Reicher. Madame Arnould, mère d'Alberte, proposa une boîte aux lettres clandestine aux déportés. L'Association lui a attribué à titre posthume un Diplôme du Souvenir et de la Reconnaissance.

(7) Danielle Delmaire, professeur émérite de l'université de Lille 3. Auteur de publications qui conduisirent aux recherches sur les Mazures. Dont : Les camps des Juifs dans le Nord de la France, MEMOR, Villeneuve d'Ascq, n° 8, 1987, pp. 47-64. Le "Mémorial..." a été publié grâce à elle.

Sans les instantanés de François Lorent, de Françoise Parizel et de Manu Tzwern, la rédaction de cette page n'aurait même pas été envisagée. Qu'ils soient tous trois remerciés de leurs regards complémentaires sur cette Journée nationale aux Mazures.


Montage photo (JEA) : le dernier cliché connu de déportés des Mazures (été 1943) et le site actuel de leur Judenlager avec la Pierre du souvenir.

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