DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

lundi 30 juin 2008

P. 5. Brèves (2) P. Hermant - A. Rollin

(Photo : JEA, Chausey, 2007).

- "en littérature, nous sommes tous des insulaires..."

Paul Hermant
Chronique du 26 juin, Matin première, RTBF.


- "Faire revenir les souvenirs, ces îlots de glace. Ils fondent. La mer de l'oubli augmente. Vaste, elle submerge. La mémoire engloutie."

André Rollin, "La mémoire de l'iceberg" (Sabine Wespesier Ed.).

(Photo : JEA, Chausey)

vendredi 27 juin 2008

P. 4. Craonne

Au crépuscule du 23 juin, le ciel d'ici a semblé piquer un coup de folie.

(Photo : JEA, LNAJ)

Là, ce n'étaient plus les quelques pétards et fusées rouges que le soleil balance parfois, comme un gamin, avant d'être obligé de se mettre au lit pour la nuit. Ce 23 juin, tout versait dans la démesure.

Et puis, avec du retard à la compréhension, une évidence. Pour tenter de figer en photo ces moments incendiaires, il fallait se tourner, mais oui, vers... Craonne. Entre 100 et 200.000 morts côté français au sinistre Chemin des Dames en 1917. L'horizon offrait donc un funèbre lumières et son avec en sourdine "la" Chanson des mutineries. Alors interdite mais devenue inoubliable. Une légende (?) veut qu'un million de francs or et la démobilisation aient été promis pour tout qui en dénoncerait les auteurs. Raté...



  • Quand au bout d’huit jours, le r’pos terminé,
  • On va r’prendre les tranchées,
  • Notre place est si utile
  • Que sans nous on prend la pile.
  • Mais c’est bien fini, on en a assez,
  • Personn’ ne veut plus marcher,
  • Et le cœur bien gros, comm’ dans un sanglot
  • On dit adieu aux civ’lots.
  • Même sans tambour, même sans trompette,
  • On s’en va là haut en baissant la tête.

  • Refrain : Adieu la vie, adieu l’amour,
  • Adieu toutes les femmes.
  • C’est bien fini, c’est pour toujours,
  • De cette guerre infâme.
  • C’est à Craonne, sur le plateau,
  • Qu’on doit laisser sa peau
  • Car nous sommes tous condamnés
  • C'est nous les sacrifiés !
  • Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
  • Pourtant on a l’espérance
  • Que ce soir viendra la r’lève
  • Que nous attendons sans trêve.
  • Soudain, dans la nuit et dans le silence,
  • On voit quelqu’un qui s’avance,
  • C’est un officier de chasseurs à pied,
  • Qui vient pour nous remplacer.
  • Doucement dans l’ombre, sous la pluie qui tombe
  • Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes.
  • C’est malheureux d’voir sur les grands boul’vards
  • Tous ces gros qui font leur foire ;
  • Si pour eux la vie est rose,
  • Pour nous c’est pas la mêm’ chose.
  • Au lieu de s’cacher, tous ces embusqués,
  • F’raient mieux d’monter aux tranchées
  • Pour défendr’ leurs biens, car nous n’avons rien,
  • Nous autr’s, les pauvr’s purotins.
  • Tous les camarades sont enterrés là,
  • Pour défendr’ les biens de ces messieurs-là.
  • Refrain : Ceux qu’ont l’pognon, ceux-là r’viendront,
  • Car c’est pour eux qu’on crève.
  • Mais c’est fini, car les trouffions
  • Vont tous se mettre en grève.
  • Ce s’ra votre tour, messieurs les gros,
  • De monter sur l’plateau,
  • Car si vous voulez la guerre,
  • Payez-la de votre peau !

En avril 2007, pour le 90e anniversaire des assauts démentiels du Chemin des Dames, Jacques Tardi (en chemise rouge sur cette photo CRDI 14-18) a offert trois fusains à la Mairie de Craonne. Au centre : un mutiné, condamné à être fusillé. On allait voir ce qu'on allait voir car Pétain reprenait en main les troupes exangues, épuisées, écoeurées. Plus tard, c'est toute la France qui apprit à connaître la poigne du Maréchal.

Un clic : ici ... et vous entrez dans le portail consacré au Mémorial du Chemin des Dames.

A retenir : les 26 et 27 septembre, un colloque organisé par la Société d'Etudes Ardennaises : "L'Autre Résistance 1914-1918".

Au programme de ces travaux qui auront pour cadre le Musée Guerre et Paix en Ardennes (Novion-Porcien) :

- le 26 septembre : "Ecrire pour ne pas oublier", 4 communications dont celle de Marie-France Barbe, historienne à l'érudition humaniste qui nous est chère ;

- le 27 matin : "Les troupes allemandes au front et à l'arrière du front", 5 communications ;

- le 27 après-midi : "Figures de résistants, volonté de résister", 5 communications.

Informations et réservations (recommandées) : jpmarby@wanadoo.fr

mercredi 25 juin 2008

P. 3. Brèves de lectures (1)

Au village où j'ignore ma réputation : plus d'école, ni de café-tabac-journaux-dépôt de poste. Ne parlons pas d'épicerie, de boulangerie, de boucher-charcutier, de mercerie, de quincaillerie (ces dernières pourtant si prolifiques autrefois dans le pays), pas de transports en commun non plus etc..., etc...

Malaisé dès lors de recueillir par ici des "Brèves de comptoir" à la mode de Jean-Marie Gourio (dont les tomes se succèdent dans la collection Bouquins chez Robert Laffont). Pour sauvegarder des sentences aussi éclairées :
- "Le Français est capable de donner des Juifs pendant la guerre, mais dire un coin à champignons, ça, jamais !" (T1, p. 828).

Par bonheur et par ici, les vents sont particulièrement décomplexés. Et n'hésitent pas à colporter quelques pages de livres, de journaux, de blogs : échos aux lointaines origines. Ce seront donc des brèves de lectures qui tenteront de remplacer celles de comptoir :

- A Bruxelles, au Palais royal, les toits commençaient à prendre l'eau (ces "draches" belgicaines qui valent bien des crachins obstinément bretons). Deux entreprises réparent pour éviter au Roi de trop se mouiller. Une flamande et une wallonne, il ne faut pas plaisanter avec ces choses-là. Mais voilà l'inspection du travail qui déboule. Les inspecteurs tombent sur des travailleurs "au noir" : soit deux Polonais et un Français...A eux trois, ils font une histoire belge de plus... (Le Soir, 21 juin).

- En pleine promotion de son nouveau CD, Carla Bruni-Sarkozy a même occupé tout un numéro de Libé(ration). L'écrivain Gérard Guégan salue cet exploit : "Quand une ignorante de gauche fait l'âne(sse) pour avoir du son... et de la lumière." (BibliObs, 23 juin).

- En France, le ministre Hortefeux annonce une augmentation de 80% des expulsions de citoyens stigmatisés comme étant sans papiers. Malgré l'augmentation du carburant, les vols charters semblent avoir encore de l'avenir.

(Illustration : Intersyndicale de la fonction publique)

- "La postérité, cette garce...tapine sur le trottoir de l’histoire littéraire."
(C'est du Pierre Assouline sur son blog, il y a de la cruauté à la page du 21 juin).

- C'est l'automne pour les émissions littéraires sur les étranges lucarnes de France. Ces émissions se ramassent à la pelle pour finir dans les poubelles des programmes. "Vol de nuit" ne décolera plus sur TF1. "Le bateau libre" a été coulé sur FR5. Et les "Esprits libres" n'auront plus la parole sur FR2. A quand la suppression du ministère de la Culture, au nom sans doute d'une nouvelle "exception française" ?

- Le marketing oblige des mots à porter l'uniforme des mercenaires. Chargés de matraquer sans état d'âme des consommateurs réduits alors à un préfixe :









= en caractères tendant vers le microscopique : "Origine Argentine".

Autant le savoir : les "Jardins du Midi" ont donc été délocalisés en douce vers... l'Amérique du sud. Imaginez une suite. Soit la tête des Marseillais qui, au petit matin, se lèvent pour aller acheter leur "Midi libre" et se retrouvent avec un quotidien ne leur donnant des nouvelles que d'Argentine...
(Chez Auchan).

- Le Diocèse de Besançon lance "Prêtres Academy". Le but serait de susciter des vocations (et à défaut, des vocalises ?). Si vous avez raté le premier épisode, le bénitier est : ici.
(NouvelObs.com, 24 juin).

- Ecouté à l'aurore, sur les ondes jouant à saute-moutons par-dessus les frontières :
"...je voudrais aujourd'hui vous parler de Mario Rigoni Stern qui est mort avant-hier. Il avait 86 ans.
Jusqu'à avant hier, Mario Rigoni Stern était peut-être le plus grand écrivain européen encore vivant, mais, j'ai vérifié autour de moi, on le connaissait cependant à peine car on dirait bien que dans notre Europe, la libre circulation des biens et des personnes ne s'encombre pas beaucoup des livres et que le reste n'est décidément que littérature."

(Paul Hermant, chronique RTBF Matin première, 19 juin).

La vie, jusqu'à la lie.

dimanche 22 juin 2008

P. 2. Anar et (donc ?) surréaliste : "Eldorado"

Mai 2008. Sur une page du Soir de Bruxelles, le dessinateur KROLL montrait les frères Dardenne déambulant sur la Croisette et se demandant s'ils n'allaient pas y louer voire y acquérir un appartement... A force d'y retourner année après année...

C'est que plus la Belgique part en miettes, plus elle se fait son cinéma comme le prouva son débarquement pacifique à Cannes avec pellicules et bagages :
- "Elève libre", de Joachim Lafosse,
- "Rumba", de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy,
- "Moscou, Belgique", de Christophe Van Rompaey,
- et les inséparables Dardenne, avec "Le Silence de Lorna".

Mais un "road movie" (1) wallon a transformé le Festival en carrousel. Vous vous souvenez. Quand vous étiez gosse. Il fallait tenter de décrocher au passage une "floche" (mot enfantin ?), des bouts de tissus rassemblés et se balançant au-dessus des têtes de mômes. La "floche" arrachée et c'était bon pour un nouveau tour supplémentaire mais gratuit.
(1) Comment échapper à l'anglicisme triomphant ? En wallon, "vôye" correspond à "road", mais je n'ai pas trouvé de traduction pour "movie".

Cette année, Bouli Lanners en a décroché trois de ces "floches" avec son "Eldorado" qui a cumulé le Prix Regards jeunes, le Prix du label Europa Cinemas et le Prix FIPRESCI de la Fédération internationale de la Critique...

Synopsis :

- "Yvan, dealer de voitures vintage, la quarantaine colérique, surprend le jeune Elie en train de le cambrioler. Pourtant il ne lui casse pas la gueule. Au contraire, il se prend d’une étrange affection pour lui et accepte de le ramener chez ses parents au volant de sa vieille Chevrolet. Commence alors le curieux voyage de deux bras cassés à travers un pays magnifique, mais tout aussi déjanté."

Bouli Lanners, cinergie.be (septembre 2007) :

- "L’histoire part d'une situation que j’ai vécue : un cambriolage où mon voleur s’est caché et j’ai dû parlementer avec lui pendant deux heures pour le faire sortir parce qu’il avait peur que j’appelle les flics. Finalement, on a établi le contact dans une situation vraiment particulière. J’étais touché par ce qu’il était. Sauf que, dans la réalité, il est revenu pour tout me voler un mois ou deux après."

Jacques Mandelbaum, Le Monde (21 mai) :

- "Dans Eldorado, un anar faussement bourru tombe en rentrant chez lui sur un cambrioleur, encore plus marginalisé que lui, et le prend sous son aile en le raccompagnant chez ses parents. Il s'ensuit un road movie doux-amer qui traverse les paysages wallons à la façon du Far West, et fait vivre à ces deux hommes un moment de tendresse et de solidarité dans une société plus atomisée que jamais. Jouant à merveille de la combinaison entre un genre américain et un esprit surréaliste belge, Lanners, né en 1965, signe un film qui réaffirme la puissance de l'insoumission dans un monde désenchanté."



Crédit photo, site du film, cliquer : ici.

Encore une critique ? Pour la route...

Thomas Messias, ecranlarge.com (20 juin) :

- "Les amateurs de nuages feraient bien de se ruer sur cet Eldorado dont le titre n'est pas si ironique que cela : de stratocumulus en cumulonimbus, le film de Bouli Lanners est un petit miracle d'esthétisme météorologique. On passerait volontiers une heure et demie à fixer ces plans beaux comme des tableaux. Mais comme Lanners n'est pas homme à se complaire dans le contemplatif, il a aussi fait un film autour de ces images à tomber. Eldorado est un nuage à lui tout seul, dont les mouvements quasi imperceptibles suffisent à faire varier la température. Soufflant le chaud et le froid, ce road movie est un formidable petit moment de flottement.

(...) Mené par un duo d'acteurs exceptionnels (aux côtés de Bouli Lanners, un petit nouveau, Fabrice Adde), Eldorado est un petit bijou modeste mais profond qu'on aurait tort de réduire à sa simple belgitude. Car c'est un film universel, qui traite de l'absolu et de l'immédiat, de la beauté de l'éphémère, mais sans en avoir l'air, juste comme ça, par petites touches. Un voyage dont on n'est pas près de revenir. Et une sacrée révélation."

A film anar, conclusion anar par David Fontaine, Le Canard enchaîné (18 juin) :

- "...un fort beau road movie, oà la "morne plaine" belge, sous le soleil, prend des allures de grands espaces américains. C'est aussi un film pudique d'amitié entre deux hommes aux marges de la société, dans la tradition de "Macadam Cowboy" (1969) de John Schlesinger ou de "Western" (1997) de Manuel Poirier. Le tout semé de rencontres cocasses savoureusement belges."

(NB : Le "plat pays" décrit la Flandre et pas du tout la Wallonie. La "morne plaine" correspond à un Waterloo pas vraiment au coeur de la Région wallonne ... Et les rencontres "belges" du film sont francophones et non néerlandophones, mais inutile d'attiser ici les querelles linguistiques qui tournent actuellement à la foire d'empoigne).

Et pour celles et ceux qui ne se lèvent pas avant ou pendant le générique :

Un film écrit, réalisé et interprété par Bouli Lanners. Avec Fabrice Abbe, Philippe Nahon, Françoise Fichery, Renaud Rutten, Didier Toupy.

Première assistante : Cathy Mlakar. Chef opérateur : Jean-Paul De Zaeytijd.
Chef décorateur : Paul Rouschop. Ingénieur du son : Olivier Espel. Chef monteur : Erwin Ryckaert.

Une production Versus production. En coproduction avec Lazennec & Associés, RTBF (Télévision belge). Avec l'aide du Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel de la Communauté française de Belgique et des Télédistributeurs wallons. Avec la participation du Centre National de la Cinématographie.Avec le soutien d'Eurimages.
Avec la participation de Wallimage,TPS STAR,CINECINEMA. Avec le soutien de l'Action Préparatoire I2I de la Commission Européenne.Développé avec le soutien du Programme MEDIA de la Communauté Européenne (Slate Funding).Avec la participation du Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge. En collaboration avec Inver Invest,Taxshelter.be, Casa Kafka Pictures, Pôle Image de Liège.


Le film commence à hanter des écrans de France depuis le 18 juin. Ici, il faudra s'offrir 43 km aller pour ne pas en être privé... Mini road movie en quelque sorte...

samedi 21 juin 2008

P. 1. Premier orage d'été en Ardennes

Des orages de dents
déchirent les nuages
qui, de désespoir,
finiront (bien ou mal ?)
par se frapper
tragiquement le front
sur les murs tapissés
de grisaille du ciel...

Aux premières loges,
spectateur involontaire
et certes non voyeur,
le village aimerait passer inaperçu.
Ses tentatives
pour se camoufler
au milieu des bosquets,
s'inspirent des douloureuses expériences
tirées de guerres successives.
Hélas, il n'hésitera pas à sacrifier
l'un ou l'autre arbre
- otages innocents -
si la foudre fait trop parler sa poudre.




(Photo : JEA, LNAJ, 21 juin)